Médias et pouvoir politique au Cameroun, Les journalistes face à la santé présidentielle, de Norbert N. Ouendji
Critique du livre
22 décembre 1997. Au lendemain de la finale de la coupe du Cameroun de football, Le Messager publie un article sous un titre interrogateur : "Le président Biya est-il malade ?" Sous la plume de Franck Essomba, le journal revient sur le "siège du chef de l'Etat [...] resté vide pendant une bonne partie de la seconde mi-temps". Citant des "sources dignes de foi", le journaliste rapporte : "pendant qu'il s'entretenait avec ses proches collaborateurs, le président a arrêté sa poitrine des mains, signe qu'il avait un malaise. On a alors fait venir son médecin personnel, qui l'a aussitôt examiné. [...] Il se serait agi d'un malaise cardiaque". L'article s'achève par un autre point d'interrogation : "Y a-t-il un grand malade à la tête de cet Etat où l'on ne publie pas de bulletin de santé du président ?"
Ce texte, écrit par endroits au conditionnel (doute ?), serait rapidement passé aux oubliettes si Rfi ne l'avait relayé sur les ondes internationales, semant ainsi la panique dans l'entourage présidentiel. Dès le lendemain, le directeur du cabinet civil de la présidence de la République inséra, dans Cameroon Tribune, un démenti contestant "tout fondement" à l'information du Messager. D'autres journaux, désormais intéressés par l'affaire, notamment La Nouvelle Expression et Cameroon Tribune, publièrent des articles qui indiquaient, détails à l'appui, que, pendant son absence de la tribune du stade, le chef de l'Etat recevait, tour à tour, plusieurs de ses collaborateurs au sujet de la presqu'île de Bakassi, alors envahie par le Nigeria.
Autoglorification
Le lendemain, 24 décembre, Pius N. Njawé est interpellé au siège de son journal et placé en garde à vue dans les locaux de la police judiciaire à Douala. Après interrogatoire, il est inculpé de "propagation de fausse nouvelle" et écroué à la prison centrale de New-Bell, avant d'être jugé. Son procès, fort médiatisé, débouche sur sa condamnation à deux ans de prison ferme par le tribunal de grande instance de Douala. Peine qui sera ramenée à un an de réclusion par la cour d'appel du Littoral. A la suite de multiples pressions de la communauté internationale et des milieux de la presse, le célèbre bagnard bénéficie de la grâce présidentielle à deux mois de sa libération. Il retrouve enfin sa famille et ses collaborateurs.
Cette histoire a été au centre d'un mémoire de fin d'études en journalisme (Dut) à l'Institut universitaire de Technologie (Iut) de Bordeaux en 2001. Œuvre de Norbert Ouendji Ngatta, rédacteur en chef adjoint du Messager à l'époque des faits (et non moins proche parent de Pius Njawé), ce travail de recherche s'intitulait "Cameroun, médias et santé présidentielle - Analyse au regard de l'expérience française". C'est le fruit de ladite analyse, actualisée par l'auteur, qui a été publié en juin dernier sous la forme d'un essai, par la discrète maison d'édition française "Les Belles Pages", sous un titre plus englobant : "Médias et pouvoir politique au Cameroun : les journalistes face à la santé présidentielle". Un livre de 260 pages, qui ne laisse pas le lecteur camerounais indifférent.
Le livre de Norbert Ouendji Ngatta, aujourd'hui Chargé de mission auprès du directeur de la publication du Messager (entreprise qu'il n'a du reste jamais quittée), est écrit dans un style simple et alerte. C'est un récit qui s'étend sur sept chapitres. Très rapidement, cependant, le lecteur se rend compte que le titre de l'ouvrage est quelque peu trompeur. Volontairement englobant. En effet, excepté le premier chapitre consacré aux généralités sur la presse au Cameroun, l'essentiel de l'essai est consacré au journal de Pius Njawé. C'est-à-dire du chapitre 2 au chapitre 6, qui racontent successivement l'histoire du Messager, l'affaire du prétendu malaise cardiaque, et le procès qui s'en est suivi. Une réflexion sur la dépénalisation des délits de presse précède la conclusion.
Découlant d'un travail de recherche (donc scientifique), Médias et pouvoir politique au Cameroun surprend par la partialité de son auteur. L'ancien rédacteur en chef du Messager en profite pour régler leur compte à quelques confrères : La Nouvelle Expression, Mutations et Jeune Afrique sont tour à tour épinglés (lorsqu'ils n'épousent pas les thèses du Messager), biens qu'ils se soient mobilisés pour réclamer la libération de Pius Njawé. Le tort de ces journaux est d'avoir pris quelques distances avec l'article incriminé du Messager, du reste pas exempt de reproches.
Procès
Les "ennemis du journal" sont accusés d'avoir favorisé l'emprisonnement de Pius N. Njawé. Alors que l'auteur n'interroge aucun responsable des journaux en cause sur l'affaire, le directeur de publication du Messager est cité tout au long de l'ouvrage. Norbert Ouendji Ngatta donne une meilleure illustration de sa partialité en page 131 : "Ayant été impliqué dans le traitement de cette nouvelle, écrit-il, nous pouvons aujourd'hui affirmer que s'il fallait recommencer cet exercice, nous recommencerions".
Dans son oeuvre de victimisation de Pius Njawé, l'essayiste a choisi de ne point s'attarder sur l'exactitude de l'information publiée par Le Messager. Il évite logiquement le débat sur la critique contradictoire des sources. Et consacre en revanche tout un chapitre au "procès des sources", question d'expliquer - à tort sans doute - que le patron du Messager avait été condamné pour avoir refusé de trahir ses sources et non pour le caractère non fondé de l'information diffusée par son journal.
Médias et pouvoir politique au Cameroun reste cependant une mine d'informations. Qui aurait été moins partial si l'auteur n'avait pas choisi de jouer les avocats de son seul patron et tonton. En incluant des affaires présidentielles concernant d'autres journalistes (à l'exemple de l'incarcération sans jugement, à deux reprises, de Joseph Benyimbé, patron du Canard Libéré de l'époque, pour avoir parlé de la déchirure entre Ahidjo et Biya, d'une part, et du Safari de Valéry Giscard D'Estaing au parc de Waza, nul doute que cet ouvrage aurait évité, avec bonheur, de sombrer dans des querelles oiseuses de la presse camerounaise.
Christophe Bobiokono, Mutations (Yaoundé, Cameroun)
Norbert N. Ouendji, « Médias et pouvoir politique au Cameroun, Les journalistes face à la santé présidentielle », Les belles pages